Le suédois est une langue plus ou moins germanique et certains de ses mots se rapprochent de l’anglais, comme kung pour roi. Par contre la reine se dit drottning, aucun rapport. Et comme la petite île se dit holm, Drottningholm, c’est la petite île de la reine. Et quand le seigneur Grip s’est installé sur une petite île, on l’a appelée Gripsholm.
(D’autres mots, comme toalett, ont une autre origine, mais c’est une autre histoire).
Ces deux petites îles sont sur le lac Mälaren, le même qui baigne Stockholm, et surtout, elles ont un château et sont sur ma route.
Drottningholm est à une demie-heure de route du centre de Stockholm (plus avec les bouchons). Le château est la résidence officielle du Roi et de la Reine de Suède. Les souverains occupent l’aile sud et laissent l’aile nord aux visiteurs.

Le château actuel a été construit à partir de 1662. C’est le plus grand et le mieux préservé des châteaux de l’époque baroque de Suède. Le parcours de visite est assez court. Curieusement, il n’y a pas de grande salle de réception (ou alors elle est dans la partie du château qui ne se visite pas). Par contre il y a une grande bibliothèque, comme à Charlottenburg.
Chose étonnante, plusieurs pièces comportent des portraits de généraux de l’armée ou des descriptions de grandes victoires militaires suédoises. Je n’ai jusqu’à présent jamais rien vu de tel dans les appartements d’un palais royal, même à Potsdam.

La reine Louise-Ulrique (1720-1782), une des soeurs de Frédéric II de Prusse, était une femme très cultivée et aimait le théâtre. Hélas à l’époque la cour de Suède était un peu frustre, mais elle a pris les choses en main et a fait bâtir un théâtre à côté du château de Drottningholm.

Tout est en carton-pâte mais la raison pour laquelle ce théâtre est classé sur la liste de l’Unesco est dans les coulisses. Il a conservé sa machinerie du XVIIème en parfait état de fonctionnement : cabestans, poulies, trappes et machines à bruitage. Hélas les lieux ne se prêtent pas au déferlement de meutes de visiteurs, mais une vidéo donne un aperçu, comme à Vincence. Depuis 1922 des spectacles sont donnés chaque été.
Un jardin complète la visite sous le chaud soleil suédois. Pas de jaloux : il y a une partie à la française et une autre à l’anglaise.
Drottingholm est à portée d’excursion de Stockholm (en bus ou, mieux, en bateau) et les touristes, en particulier asiatiques, abondent.
Gripsholm est à une heure de route plus loin vers l’ouest, et là il y a moins de touristes.
Du château construit par Bo Jonsson Grip dans les années 1370, il ne reste rien. Mais l’emplacement était bon et le roi Gustave 1er Vasa a fait construire un nouveau château qui sera terminé en 1545. Il est à la pointe de la science de la fortification de l’époque.
Une restauration majeure est entreprise en 1890. L’objectif était de revenir aux origines, plus ou moins fantasmées, en supprimant tous les ajouts postérieurs à 1600. C’est un peu la même histoire que pour le Haut-Koenigsbourg, Pierrefonds, Karlštejn ou Hohenzollern.
L’allure du château est encore médiévale avec ses murs épais et ses grosses tours.
La décoration des très nombreuses pièces est représentative des différentes périodes d’occupation du château, du XVIème au XIXème siècle.

Comme Drottingholm, Gripsholm a son théâtre. Le fils de Louise-Ulrique, Gustave III, était aussi passionné de théâtre que sa mère, et a fait installer un magnifique théâtre au dernier étage de la plus grosse tour du château.

Ici on peut voir une partie de la machinerie.
A a différence de sa mère qui faisait venir des troupes de France ou d’Italie, lesquelles jouaient dans leur langue, Gustave III a traduit ou écrit de pièces en suédois. Il est donc considéré comme le père du théâtre, voire de la culture suédoise.
Le château de Gripsholm héberge la collection nationale de portraits de l’État suédois. Dans les combles du château, entre les appartements de personnages secondaires de la cour, les coursives sont ainsi couvertes de portraits de personnalités diverses du pays. Depuis une dizaine d’années la photographie est entrée dans la collection.

D’ailleurs en parlant de portraits, j’ai été surpris d’en voir autant dans les palais royaux que j’ai visités en Suède (Stockholm, Drottningholm et Gripsholm)
Il y a d’abord beaucoup de portraits de membres de la famille royale, c’est classique. Mais surtout quasiment tous les souverains d’Europe (y compris des sultans ottomans) sont représentés. Certaines salles leur sont entièrement consacrées, chacune présentant toutes les tête couronnées d’une époque donnée.
Par exemple à Drottningholm où l’on reconnaît Napoléon III et Victoria :

Ou Louis XV et Charles III d’Espagne à Gripsholm :

La tradition est ancienne : une autre salle de Gripsholm expose des portraits du XVIème siècle, avec François 1er et Charles Quint.
Je n’ai pas trouvé d’explication sur cette manie. Peut-être que la monarchie suédoise, qui est installée aux marges de l’Europe, voulait marquer ainsi son ambition de jouer un rôle important dans la politique européenne.
En tout cas le château Gripsholm vaut largement le détour. Le drame est qu’à l’heure où je l’ai visité le château, il est impossible d’en faire une photo correcte. Le côté bien exposé est entièrement couvert par des arbres, sinon il est en contre-jour intégral. Et le soleil est très brillant en ce moment.
Après le château, j’a pris la direction de Linköping, deux heures de routes plus à l’ouest.
J’y suis arrivé le soir, après la victoire de l’équipe de Suède sur le Mexique, synonyme de qualification pour les huitièmes de finale de la coupe du monde. Les rues étaient pleines de maillots jaunes, la couleur de l’équipe nationale, et les gens dedans étaient de fort bonne humeur.