La bataille de Waterloo est événement important parce qu’elle marque la fin d’une époque et le début d’une autre. Le bicentenaire de la bataille de Waterloo est aussi un événement important parce qu’il met fin à toute une série de bicentenaires. Ces dernières années ont vue des quantités de bouquins, d’expositions, de commémorations ou de reconstitutions, comme Montereau, l’année dernière. A part cette dernière, somme toute assez modeste, je n’en avais vu aucune. J’avoue avoir été peu motivé par des déplacements à Austerlitz en décembre, ou Leipzig ou Iéna en octobre, par exemple. Mais pour la dernière, le point d’orgue, en juin et pas trop loin (350km de route) je ne pouvais pas faire l’impasse.
Waterloo est le modèle même de la bataille décisive, dont les conséquences politiques vont bien au delà de quelques hectares de Belgique. Ce n’est pas seulement la défaite, ou la victoire, d’une armée, qui était en jeu, mais le destin d’un homme, Napoléon, de la France et de toute l’Europe. 200 ans après, Napoléon déchaîne encore les passions. Juste avant la bataille, Napoléon et son état-major ont fait le tour du terrain pour saluer le public et a soulever l’enthousiasme de la foule sur son passage. Une petite fille derrière moi criait « Napoléon ! Napoléon ! » comme pour une rock star. D’autres, plus grands, criaient « Vive l’Empereur ».
Il y a eu plus de livres publiés sur Napoléon et ses guerres que de jours passés depuis sa mort, dont une bonne partie sur la bataille de Waterloo, et ce, même avant le boum éditorial du bicentenaire. Car la bataille déchaîne les passions autant que le personnage.
En effet Waterloo n’est pas la bataille qui s’est déroulé sur la plus grande surface ou la plus grande durée, ni celle qui a vu s’affronter le plus de monde, ni même celle qui a compté le plus de victimes. Ce n’est même pas la plus brillante par la manoeuvre, puisqu’elle s’est résumée à une série d’attaques frontales sans imagination. Certains auteurs la comparent à un combat de boxe qui s’est terminé par l’épuisement des deux combattants, jusqu’à ce qu’un troisième (du coup, un match de catch en fait) déboule à la toute fin de la journée pour emporter la décision.
Car ça s’est joué à très peu de chose. Dans le camp anglais, les témoignages de l’époque abondent, on a cru la défaite possible jusque tard dans la journée. Donc les ré-écritures se sont multipliées : Et si Blücher était arrivé plus tard ? Et si Grouchy été arrivé avant ? Et si il n’avait pas plus la veille ? Et si Napoléon avait commencé la bataille plus tôt ? Et si Napoléon avait eu dix ans de moins ?
Donc par son déroulement et par ses conséquences, la bataille de Waterloo est unique. Il faut dire aussi que les témoignages des acteurs de l’époque sont très nombreux, à commencer par Napoléon lui-même qui l’a racontée à sa façon dans le Mémorial de Sainte Hélène. Cette version a longtemps influencé les historiens, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les écrivains ont pris le relais et ont abondamment écrit sur la bataille à peine celle-ci terminée. Enfin le champ de bataille a été préservé et maintenu quasi en l’état depuis.
Tout cela est bien beau, mais est-il possible de reconstituer une telle bataille ? La reconstitution parfaite est impossible, pour des tas de raisons, je considère donc que ce qui a eu lieu sur le site de Waterloo ces 19 et 20 juin 2015 est un spectacle impressionnant et une évocation brillante et réussie.
Bien sûr tout n’était pas parfait. Par la taille du terrain, une fraction du champ de bataille originel, il était difficile de tout voir. En outre le terrain est assez vallonné (ce n’est pas une plaine plate, même morne : Victor Hugo évoque bien les vallons dans « Les Châtiments ») et donc assez souvent des bataillons entiers étaient cachés. Ceci dit c’était comme ça en 1815 et cela a joué. Ensuite la fumée intense émise par les canons et les fusils occultait l’action une bonne partie du temps. C’était aussi comme ça en 1815, mais les spectateurs de 2015 ont payé pour voir. Enfin, le plus gros grief que je ferais à l’organisation est sur le choix des horaires puisque les deux séances ont eu lieu de 20h à 22h. Certes à proximité du solstice d’été les journées sont longues, mais quand même passé 21h on voit moins bien (et l’appareil photo a plus de mal à suivre), surtout le deuxième soir où le ciel était plus sombre, au point de commencer à pleuvoir à 22h. Facteur aggravant, la tribune, en tout cas la mienne, était derrière le camp anglais, donc à la fin de la bataille l’action était du côté français, donc encore plus loin. Donc finalement le samedi soir : fumée+nuit+éloignement, forcément on ne voyait presque plus rien.
Les commentaires était moyens voire mauvais. Rarement ils suivaient l’action et se contentaient d’évoquer des banalités sur le contexte, les principaux chefs de guerre ou la description des armées de l’époque. Je me suis rendu compte après coup qu’ils pompaient en grande partie un article de Thierry Lentz publié dans le Figaro Histoire. Heureusement c’est une bonne référence. Mais l’inconvénient est mineur. Le problème des commentaires, c’est de l’entendre 3 fois : en français, en anglais et en flamand. Lu sans passion et hors de propos, le commentaire était digne d’un audioguide du champ de bataille, pas de la reconstitution du siècle.
Pour me préparer, j’avais lu le Waterloo d’Alessandro Barbero (Flammarion). Un récit très vivant, avec quelques détails techniques instructifs et une lecture captivante. Je recommande.
Mais rassurez vous, le bilan reste très positif. L’organisation était efficace et , malgré la foule, j’ai trouvé que ça circulait pas trop mal.
Malgré les quelques réserves évoquées ci-dessus, le spectacle était grandiose : 6000 reconstituteurs et 200 chevaux, ça donne de l’ampleur. Je n’avais jamais vu cette impression de masse avant de voir les bataillons français avancer serré.
Organiser les mouvements de tant de monde est une prouesse. Au débuts les déplacements était vraiment historiques, comme l’attaque de la ferme de Hougoumont, l’avancée de la division Drouet d’Erlon au centre contrée par la cavalerie lourde anglaise, ou les charges de la cavalerie française contre les carrés anglais. J’estime que ces mouvements historique n’ont représenté que la moitié du spectacle, voire moins. Le reste permettait de passer le temps et d’occuper le terrain. Et de permettre aux reconstituteurs de reconstituer. Car il ne faut pas oublier que ce sont des passionnés qui passent leur temps à fabriquer leur uniforme et leur équipement pour ensuite manoeuvrer sur le terrain et se confronter à ceux d’en face. Comme des sportifs qui s’entraînent pour la finale. Finalement les combats n’ont pas cessé à 22h quand le commentateur a dit que c’était terminé. La nuit tombée ont voyait encore des échanges de tirs au loin. Je crois qu’eux les premiers vivaient un grand moment et n’avaient pas envie de s’arrêter.
Pour apprendre et comprendre comment la bataille s’est déroulée, il vaut mieux lire des bouquins, ou visiter le centre d’interprétation de la bataille, ce que j’avais fait en famille en juillet 2006. Il est très bien fait (en tout cas il l’était à l’époque, un nouveau bâtiment a été construit depuis). Il est même possible de faire une visite commentée sur le terrain en camion tout-terrain. Ou à pied, mais c’est plus long.
Par contre ce genre de reconstitution permet d’approcher, d’assez loin mais quand même, la réalité d’un champ de bataille. C’est surtout le bruit qui frappe. Le bruit des tirs de fusil et de canon d’abord, mais aussi les fifres, clairons et tambours qui accompagnent les ordres, les cris des soldats. Ensuite la fumée. Certes elle nuit à la visibilité mais fait partie de l’ambiance. Et enfin l’odeur de la poudre, pour peu que le vent soit dans le bon sens. Tout cela n’est pas dans les livres.
Outre les livres, il y a eu des films ou la télé. Arte avait diffusé le samedi précédent un doc sur la bataille avec des images au coeur des combats d’un grand réalisme : on voit des membres arrachés et du sang qui gicle. Les plans larges sont repiqués sur le film italo-soviétique de Bondartchouk sorti en 1970. Malgré quelques inexactitudes (l’historiographie a progressé depuis), ce film reste la référence pour les images d’ensemble avec des milliers de figurants (l’armée rouge avait été sollicitée).
Les gens qu’on voit sur le terrain ont travaillé leur sujet et on peut voir les tactiques à l’oeuvre : les voltigeurs en avant de la ligne, l’infanterie de ligne épaule contre épaule, la cavalerie qui reste en retrait en guettant le moment propice pour charger, l’infanterie qui forme le carré quand la cavalerie lui tombe dessus. Toutes ces choses décrites dans les livres et que l’on peut voir en vrai dans la reconstitution.
Dans les tribunes, j’ai ressenti le spectacle un peu comme un match de foot. Avant le coup d’envoi, on est dans l’expectative, on se demande ce qui va se passer. Et quand ça commence l’excitation gagne les tribunes. Les masses de cavalerie, même modestes par rapport à l’époque, impressionnent toujours.
Même si on ne comprend pas bien ce qui se passe, on frémit avec le mouvement des troupes. Il faut avoir l’oeil partout. Par exemple, au début, on voit les français avancer en masse au centre, mais, ayant lu l’histoire, je gardais un oeil sur la cavalerie anglaise sur ma gauche car je savais qu’elle devait charger bientôt. Ce qui n’a pas manqué, et qui n’est pas comme un match de foot. Après les premiers mouvements, ça devient un peu répétitif, cependant je ne m’en lassais pas. Surtout le deuxième soir où l’action était beaucoup plus intense et continue. Il y avait plus d’action que le premier soir, et sur tout le terrain en même temps. Tous les spectateurs, dans les différentes tribunes autour du terrain on dû bien en profiter.
Je serais curieux de savoir comment sont organisés de tels mouvement de troupe. Ils requièrent une grande préparation et coordination. Les états-majors ne sont pas là que pour faire joli sur leur cheval, ils ont un rôle réel de commande, mais avec radio et oreillettes et tout (j’ai pu le voir à Montereau). A niveau des bataillons d’infanterie, il y a comme à l’époque des officiers et des sous-officiers pour faire marcher la troupe, faire respecter l’alignement, combler les vides et diriger le tir.
Vu de loin, je me voyais comme à une table de jeu de simulation avec figurines, surtout avant le début de la bataille, où l’on voit les différentes formation prendre place aux endroits qui leurs étaient impartis.
Quelque part il est assez frustrant d’assister à un tel spectacle du haut d’une tribune, car on a un seul point de vue : les anglais toujours de dos, les français toujours de face et les prussiens de côté mais trop loin. De fait je ne les ai pas vu arrivés. Je suppose qu’ils sont arrivés plus tôt qu’en réalité, ils n’auraient pas voulu laisser leurs petits camarades s’amuser sans eux trop longtemps.
Mais considérant l’ampleur du déploiement, c’est encore de haut qu’on avait la meilleure vue je pense. Être au ras du sol et plus près de l’action, devait être sympa aussi, mais en étant condamné à n’en voir qu’une petite partie. Ce que j’ai eu l’occasion de faire à d’autres reconstitutions plus petites. Mais là c’était tellement énorme qu’il valait mieux en voir le plan large. Le spectacle était filmé, avec des camera au coeur de l’action, mais je n’ai pas encore eu le temps de voir ce que ça donne. Je pense que ça devrait bien compléter l’expérience.
Une expérience inoubliable que je vous invite à partager à travers quelques photos choisies.