Les États-Unis ne se sont pas faits en un jour, et il a bien fallu commencer quelque part. Et ce quelque part, c’est Jamestown, au bord de la James river, dans l’actuelle Virginie.
C’est ici que des colons anglais ont débarqué le 14 mai 1607 après un long voyage de plusieurs mois à bord de 3 bateaux partis de Londres baptisés Susan Constant, Godspeed et Discovery.
Les Espagnols sont déjà installés depuis longtements en Amérique Centrale, dans les Caraïbes et en Floride où leur première colonie date de 1565.
Quand les colons anglais s’installent en 1607, des explorateurs ou des pêcheurs ont déjà fréquenté les côtes de la Virginie. À cette époque ce nom désigne toute l’Amérique anglaise. Plusieurs tentatives d’implantations permanentes avaient déjà eu lieu mais sans succès : elles ont disparu sans laisser de trace.
Plus au nord, Les Français fonderont Québec en 1608.
La colonie de Jamestown sera la première implantation durable réussie sur le continent par les Anglais. Le guide précise ce point d’emblée et insiste : l’histoire a commencé ici, à Jamestown, Virginie, et pas à Plymouth Plantation, Massachussetts, où le célèbre Mayflower n’a accosté qu’en 1620.
Je ne me souviens pas si ce point avait été précisé avec autant d’insistance quand j’avais visité Plymouth Plantation en 1990, mais ça fait longtemps.
La colonie est née d’une initiative privée. Des investisseurs ont créé la Virginia Company of London dans un but purement spéculatif. La compagnie finançait bateaux, matériel et transport vers la colonie, à charge aux colons d’en tirer un profit. Les colons pouvaient être des employés de la compagnie, surtout les cadres, ou payaient leur place dans l’espoir de s’enrichir en Amérique. Mais beacoup étaient des gens pauvres qui devaient rembourser leur passage par contrat en travaillant pour la compagnie pendant plusieurs années.
Les premières années ont été très difficiles : les hivers sont rudes et les colons ne parviennent pas à produire suffisamment de nourriture, ni à s’en procurer auprès des indiens.
Car bien sûr la terre n’est pas vierge d’habitants. Les rives de la James river sont habitées par les indiens Powhatans.
La fille du chef Powhatan s’appelait Pocahontas et elle fait partie de la mythologie américaine. Bien sûr la réalité est très différente de celle racontée par Walt Disney, mais c’est une autre histoire. La vraie Pocahontas a épousé un Anglais, John Rolfe, et l’a suivi en Angleterre où elle repose encore aujourd’hui, dans le cimetière de Gravesend, dans le Kent. J’y suis passé dans le savoir en juillet 2011, dommage.
Au début, les Powhatans ne sont pas forcément hostiles aux nouveaux arrivants. Mais ceux-ci sont venus pour s’installer et exploiter leur conquête, donc forcément au détriment des populations locales. Les colons se sont installés sur un terrain facile à défendre mais impropre à l’agriculture, donc ils ne sont pas capables de produire leur propre nourriture. Ils espéraient acheter de quoi se nourrir auprès des indiens, mais ceux-ci n’ont pas forcément les ressources pour nourrir plus que leurs propres tribus. Les relations entre colons et indiens vont donc rapidement se détériorer et bientôt les colons n’oseront plus s’aventurer en dehors du fort qu’ils ont bâti.
Les colons dépendent entièrement des approvisionnements envoyés par la Virginia Company. Plusieurs convois apporteront des nouveaux colons (dont les premières femmes en octobre 1608), du matériel et du ravitaillement, à peine de quoi maintenir la colonie. Après l’hiver 1610, il ne reste que 60 survivants sur les 500 colons débarqués.
Après ces premières années difficiles, la colonie finira par se stabiliser, notamment sous la férule autoritaire mais efficace de John Smith. Ce dernier n’est resté que quelques années à Jamestown mais il a minutieusement exploré la région, et ses écrits seront fort utiles pour les colons suivants. Il a notamment reconnu, et nommé, le site de Plymouth Plantation avant que d’autres colons y arrivent en 1620.
Petit à petit la situation des colons va s’améliorer. Les agriculteurs vont progressivement apprendre à cultiver cette nouvelle terre et les produits qui y poussent, comme le maïs. Des artisans qualifiés aussi sont implantés pour y établir une industrie. Mais elle ne sera jamais profitable tant que le seul débouché sera la métropole, à 3 mois de bateau de là.
Le salut viendra du tabac. La plante était déjà connue et appréciée des Européens, mais la variété endémique de Virginie n’était pas à leur goût. Jusqu’à ce que John Rolfe importe en 1610 des plants des îles Bermudes (où les Anglais avaient également une colonie). Le (nouveau) tabac de Virginie est un succès et sera pendant les siècles suivants un des produits d’exportations les plus lucratifs de la Virginie.
Malgré cela la colonie ne génère pas encore les profits espérés par la Virginia Company et ses actionnaires s’impatientent. L’envoi de gouverneurs sévères n’y changera rien, et la colonie sera finalement reprise par la couronne en 1624.
Les premiers noirs sont arrivés à Jamestown en 1619 un peu par hasard : le bateau hollandais (ou portugais, les sources varient) qui les transportait depuis l’Angola s’y est échoué après une tempête. Il s’agissait d’hommes libres ou de serviteurs sous contrat, comme les colons anglais, mais en aucun cas d’esclaves. L’esclavage ne sera formellement institué qu’en 1640 et jouera un rôle important dans le développement des colonies.
D’autres colons arriveront d’Angleterre ou d’autres pays d’Europe. D’autres implantations seront crées, puis des villes. Les peuples autochtones vont être supplantés par les colons européens, qui vont se partager la terre qui n’appartenait personne. Les arpenteurs vont délimiter les parcelles. C’est d’ailleurs la profession exercée dans sa jeunesse par le plus connu des virginiens, George Washington.
La population, l’agriculture, l’industrie et le commerce vont augmenter. Des institutions judiciaires et politiques locales seront de plus en plus nécessaires, car la métropole est trop loin pour régler les litiges. Une première assemblée représentative et élective sera établie dès 1619, un début de démocratie en Amérique.
Les frontières, entre comtés puis entre colonies, seront tracées. Celles de l’État actuel de Virginie ont varié avec le temps, en raison de la création des États voisin. Néanmoins la Virginie est une des plus importantes des 13 anciennes colonies britanniques qui obtiendront l’indépendance en 1783, conséquence de la victoire de Yorktown, à 20 miles de Jamestown.
Le site de Jamestown sera finalement abandonné au profit d’autres sites plus confortables, comme Williamsburg, l’ancienne capitale de la Virgine, mais c’est quand même un des lieux de naissance des États-Unis d’Amérique.
Powhatans, Anglais, Angolais : c’est autour de la rencontre de ces trois peuples qu’est conçue la visite du site de Jamestown Settlement. Mi-musée, mi-reconstitution, l’endroit est géré par la même entreprise que le Yorktown Révolution Museum at Yorktown que nous avons visité hier. Il ne reste que des vestiges archéologiques de 1607 et des années suivantes, donc tout est reconstitué, et pour dire vrai, fait trop neuf pour ne pas paraître artificiel. Mais le site est animé par de nombreux volontaires en costume d’époque. Notre guide n’était pas en costume mais sa prestation haute en couleur valait le détour.
Comme toujours en Amérique, l’Histoire est formidablement mise en scène. A chaque fois je suis frappé par la masse de détails qui sont arrivés jusqu’à nous : les dates, les faits et surtout les noms des protagonistes les plus humbles. De ce côté-ci de l’Atlantique les récits historiques ne citent que les Grands.
On dit souvent que l’Amérique n’a pas d’Histoire. Rien n’est plus faux. Elle est moins longue, sans doute, mais pas mois passionnante.