Tallinn est la capitale de l’Estonie et j’y ai passé 3 jours.
Lyndanisse
D’après les textes les plus anciens, un château existait sur Toompea, la colline qui domine la vieille ville, dès 1050. Le port de la future Tallinn était une étape importante dans le commerce entre la Russie et la Scandinavie.
La région fait alors la convoitise du roi du Danemark, venu par la mer Baltique, et des chevaliers porte-glaives, qui arrivent du sud par la terre.
Les Danois débarquent les premiers en 1219 à cet endroit qu’ils appelaient Lyndanisse. Mais les autochtones estoniens païens résistent et le roi Valdermar doit mener bataille. A un moment critique, alors que l’affaire semble perdue pour les danois, un miracle se produit : un étendard portant croix blanche sur fond rouge descend du ciel, il redonne du courage aux Danois qui gagnent la bataille.
Cet événement marque la naissance symbolique du drapeau danois. Coïncidence, deux avions F-16 danois ont survolé la vielle ville hier. Comment suis-je sûr de leur nationalité ? Le drapeau danois était peint sur le ventre de l’un des deux et il battait des ailes pour être sûr qu’on le voit bien.
Les Danois s’installent donc et construisent une ville. Les Estoniens d’alors l’appellent Tallinn, qui signifierait « la ville danoise » (en estonien, linn désigne la ville ou le château). Mais le nom allemand de Reval, dérivé du nom du comté alentour, s’impose. Il restera jusqu’à l’indépendance de 1918.
Reval
Les marchand Allemands arrivent et font de Reval une place commerciale importante, surtout dans le commerce du sel. Reval adhère à la Hanse et finalement le roi du Danemark vend la ville aux chevaliers teutoniques.
La ville a conservé une grande partie de ses remparts et maisons du Moyen-âge, comme l’hôtel de ville.
En fait Tallinn a subit d’importantes destructions pendant la seconde guerre mondiale1, mais elle a été profondément restaurée à partir des années 1970 par des Polonais. Je pense que ces derniers avaient acquis une grande expertise en la matière après avoir reconstruit à l’identique les villes historiques polonaises de Gdansk et Varsovie.
Dès l’entrée dans la ville, on est frappé par la majesté des tours du mur d’enceinte coiffées de tuiles rouges.
Se promener dans la vieille est très agréable, mais on peut déplorer la surabondance de boutiques de souvenirs qui vendent toutes plus ou moins les mêmes articles.
Revel
La ville passe sous souveraineté suédoise en 1561. Les Suédois vont notamment renforcer les fortifications en la dotant d’une enceinte bastionnée qui est toujours partiellement visible.
En 1710, la Russie de Pierre 1er (Pierre le Grand) prend possession de Reval, dont le nom est russifié en Revel.
Sous les tsars les élites germano-baltes conservent la main sur le gouvernement local, mais les autorités russes renforcent encore les défenses de la ville et développent son industrie.
Pierre le Grand est venu 11 fois à Revel pour surveiller les travaux. Il s’installe dans une modeste demeure, rachetée à la veuve du maire de la ville.
C’est aujourd’hui un petit musée, et même le plus ancien de la ville.
Mais un monarque se doit d’avoir un palais plus en accord avec son rang. Il fera donc construire en 1718 le palais de Kadriorg, en allemand Catharinentha, en l’honneur de sa femme bien aimée Catherine 2.
Hélas Pierre 1er décède avant la fin des travaux. Le château sera rénové pour recevoir les filles de Nicolas 1er en villégiature en 1832 avant de devenir la succursale du musée des beaux-arts consacrés aux peintures étrangères en 1921.
Un autre vestige important se trouve sur Toompea et se voit de toute la ville : la cathédrale Alexandre Nevski.
Elle a été édifiée entre 1894 et 1900 dans les style moscovite, à l’époque où la Russie tsariste tentait de russifier les pays baltes (et la Finlande). Auparavant, ces territoires jouissaient d’une liberté linguistique et culturelle.
Rappelons qu’Alexandre Nevski a, entre autres faits d’armes, battu l’armée de l’ordre de Livonie et de l’évêque de Dorpat en 1242 lors de la bataille du lac Peïpous. Je suppose que le choix de ce nom pour cette église n’est pas anodin.
Pendant la première guerre mondiale, l’Estonie faisait encore partie de la Russie. L’armée avait fait construire un important hangar pour hydravions, à l’architecture novatrice.
Il abrite aujourd’hui le très intéressant et très ludique musée Lennusadam consacré à la marine estonienne, tant militaire que civile.
Tallinn
Profitant de la désintégration de l’Empire russe, l’Estonie déclare son indépendance le 24 février 1918.La ville retrouve et conservera son nom estonien : Tallinn.
L’indépendance est de courte durée puisque l’armée allemande entre dans la ville le lendemain.
Le 11 novembre, l’Allemagne capitule et cède le pouvoir à un gouvernement provisoire qui lève aussitôt une armée de volontaires. Beaucoup sont d’anciens soldats qui ont servi dans l’armée tsariste. Le 28 l’armée rouge attaque l’Estonie à Narva, pour exporter la révolution.
La petite armée estonienne fait face, aidée par la Royal Navy et la Finlande, elle-même sortie de sa guerre civile et qui n’a pas envie de voir les bolcheviques s’installer sur son front sud. Comme en Lettonie, les corps francs allemands viennent compliquer les choses, mais je ne vais pas entrer dans les détails.
Finalement l’Estonie et ses alliés s’imposent et la guerre prend fin le 2 février 1920. Le traité de paix attribue même à l’Estonie quelques terres prises à la Russie.
La partie la plus intéressante du musée de l’armée estonienne, que j’ai visité vendredi, est bien sûr consacré à la guerre d’indépendance
La première République estonienne ne dure pas longtemps. En 1940, le pacte germano soviétique donne les pays baltes, dont l’Estonie, à l’URSS. Dès l’été 1941, l’Allemagne nazie occupe l’Estonie jusqu’en septembre 1944, quand l’armée Rouge reprend la ville.
L’Estonie devient une des républiques de l’URSS. La république de Russie récupère au passage le terrain concédé en 1920.
Tallinn soviétique
Pendant la période soviétique, la vie est bien sûr compliquée pour les estoniens. Mais Tallin est une fenêtre ouverte sur l’occident : une ligne de ferry entre Tallinn et Helsinki est ouverte dans les années 1970. Un certain tourisme se développe, d’autant plus que la vieille ville a été restaurée.
Tous les touristes occidentaux descendent dans le seul hôtel qui leur est ouvert (et où les citoyens soviétiques n’ont pas le droit d’entrer) : l’hôtel Viru.
C’est le premier gratte-ciel du pays, et il a été construit par des entreprises finlandaises. Officiellement pour donner du travail aux pauvres ouvriers finlandais dont le pays était en crise. En réalité personne ne savait construire un tel édifice de ce côté du rideau de fer. L’humour proverbial de l’homo-sovieticus raconte que l’hôtel est fabriqué dans un tout nouveau matériaux : le micro-béton. Il est est composé de 70% de béton et de 30% de microphones3.
Il est vrai que 60 chambres étaient truffées de micro et de caméras pour surveiller certains touristes.
Il est vrai aussi que le KGB avait ses quartiers au 23ème étage (officiellement l’étage des installations techniques) pour surveiller les résidents de l’hôtel. Une station d’écoute y était également installée pour espionner Helsinki juste en face.
L’hôtel appartient aujourd’hui à un groupe finlandais et la station d’écoute a été abandonnée par le KGB en 1991. Elle est le clou de la visite guidée proposée par l’hôtel, visite très courue et très certainement lucrative pour l’hôtel.
Tallinn a reçu les épreuves de voile des Jeux Olympiques de Moscou en 1980, ce qui a été l’occasion de construire de nouvelles infrastructures.
Ainsi de nouveaux hôtels sont sortis de terre. Mais ils sont restés vides à cause du boycott des JO par les USA et de nombreux pays occidentaux, pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979.
Le Palais des sports et de la culture Lénine a été construit en bord de mer pour recevoir les épreuves sportives. L’immense structure en béton a été ensuite utilisée comme salle de concert, mais elle est aujourd’hui inutilisée.
Par contre la tour de télévision, elle, est toujours employée.
Elle a été officiellement inaugurée avant les jeux, alors qu’elle n’était pas complètement terminée. Elle mesure 314m de haut et la terrasse ouverte au public est à 175m.
D’en haut on a bien sûr une vue magnifique à 360° sur la mer et la forêt autour de Tallinn. Hélas elle est trop loin de la ville pour distinguer les monuments.
La tour de télévision a été un des lieux clés de la « révolution chantante » qui a vu l’Estonie prendre son indépendance de l’URSS. A l’occasion du putsch de Moscou, en août 1991, des éléments de l’armée soviétique ont tenté de prendre le contrôle de la tour de télévision de Tallinn. Mais des centaines d’Estoniens ont fait barrage et les soldats ont rebroussé chemin sans faire de victime.
Tallinn libérée
Finalement l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie deviennent indépendantes en 1991, et ces trois pays intégreront l’Union Européenne et l’OTAN.
Dans Tallin le musée des occupations revient sur les 3 occupations de l’Estonie au 20ème siècle : l’occupation soviétique en 1940, l’occupation nazie en 1941-44 et l’intégration à l’URSS de 1944 à 1991.
Le propos est illustré de nombreux objets et de témoignages vidéos. La fin du parcours est une intéressante réflexion sur le processus du retour à la démocratie et les différentes formes de gouvernement.
Sur la Place de la Liberté, pas très loin du musée des occupations, se trouve la Colonne de la Victoire de la guerre d’indépendance.
Le monument mesure 23,5 mètres de haut et se compose de 143 plaques de verre. Le mémorial comprend la Croix de la Liberté, plus haute distinction de l’Estonie fondée en 1919.
Un peu à l’écart de la ville, un émouvant mémorial rend hommage aux milliers de victimes estoniennes du communisme.
Comme à Budapest et à Sofia, un jardin du musée national estonien donne refuge aux statues communistes qui ont été déboulonnées dès l’indépendance acquise.
A par celles-ci, j’ai vu une seule statue de Lénine en liberté, à Narva.
Je suis très content d’avoir visité Tallinn. Il y a beaucoup de choses à voir et en plus il a fait très beau.
1. En particulier par l’aviation soviétique qui a lourdement bombardé la ville en mars 1944, chose que l’URSS a toujours nié pendant l’occupation de 1944 à 1991.
2. Cette Catherine n’est pas la Grande Catherine, Impératrice de Russie et amie de Voltaire née en 1762.
3. Les taux varient d’une variante de la blague à l’autre.