Yorktown est une petite ville de 195 habitants en Virginie, au bord de la York River qui débouche dans la baie de Chesapeake.
C’est ici qu’a eu lieu la dernière bataille de la guerre d’indépendance américaine le 19 octobre 1781.
C’est aussi le nom d’un porte-avions, mais ça vous le saviez déjà.
La guerre d’indépendance a commencé en 1775, quand le Congrès représentant les 13 colonies britanniques en Amérique du Nord (hors Canada) se sont rebellées contre la métropole. L’indépendance a été déclarée le 4 juillet 1776, mais le gouvernement du roi George III ne l’entendait pas de cette oreille et a envoyé une forte armée remettre de l’ordre.
A l’automne 1781, la situation n’est pas bonne pour les Américains.
Pendant les premières années, le conflit s’était concentré dans le Nord, entre Pennsylvanie et Canada. Les Américains prennent Boston et capturent une armée Anglaise à Saratoga. De l’autre côté les Anglais prennent New York et Philadelphie, où siégeait le Congrès. Les deux camps finissent par se neutraliser et l’issue de la guerre est incertaine.
Le Royaume-Uni change de stratégie en 1778 et attaque au Sud où les loyalistes sont plus nombreux qu’au Nord. Grace à sa flotte il transporte le gros de son armée dans le Sud. Savannah, en Géorgie, est prise en décembre, puis Charleston, en Caroline du Sud, est assiégée du 29 mars 1780 au 12 mai 1780. La chute de Charleston, avec la capture de 5000 hommes par les Anglais, sera la pire défaite américaine de la guerre.
Le commandant britannique, Sir Henri Clinton, retourne à New York et confie l’armée à son second, Charles Cornwallis. Sa mission est de de poursuivre et détruire les restes de l’armée américaine en Caroline du Sud et du Nord. Dans la foulée de la victoire de Charleston, Cornwallis enchaîne les succès, mais n’obtient jamais de victoire décisive. Ses forces s’épuisent et il subit quelques revers.
En septembre 1871 il a traversé les Caroline sans avoir réussi à détruire l’armée Américaine. Il finit par arriver en Virginie, suivi à la trace par un corps américain commandé par Lafayette. Sur ordre de Clinton, il s’installe à Yorktown pour passer l’hiver. Grace au port de la ville et l’accès facile à l’océan Atlantique, il sera convenablement ravitaillé par la flotte anglaise et sera en position de force pour commencer une nouvelle campagne en Virginie en 1782 avec une armée plus forte que jamais.
Mais entre temps la France de Louis XVI est entrée dans le jeu.
Le traité d’alliance entre le Royaume de France et la jeune République américaine (ce que formellement elle n’était pas encore, mais on ne va pas chipoter) a été signé le 6 février 1778. Depuis quelques années, la France a déjà fourni finances et matériels militaires à une jeune armée qui en avait bien besoin. Mais les troupes françaises n’ont pas encore pesé sur la balance.
En octobre 1779 une tentative française de reprendre Savannah échoue complètement. Le corps expéditionnaire français, 5500 hommes commandés par Rochambeau, sera finalement débarqué à Newport (Rhode Island) mais la flotte part pour les Antilles, à l’abri des tempêtes et de la flotte anglaise, plus forte et plus près de sa base à New York. L’armée française restera l’arme au pied un an à Newport. Les mouvements sont très lents pendant cette guerre.
Le commandant en chef américain, George Washington, a une obsession : reprendre New York d’où il a été chassé par les Anglais dés le début de la guerre, en septembre 1776. Mais New York (essentiellement Manhattan à l’époque) est une île largement fortifiée, et l’entreprise est très risquée.
Rochambeau est un soldat bien plus expérimenté que tout l’état-major américain réuni. Lafayette l’a informé que Cornwallis s’était enfermé à Yorktown. Rochambeau comprend qu’un coup décisif peut être porté en Virginie. Il convainc Washington d’abandonner New York et de mettre toute l’armée coalisée en mouvement vers Yorktown.
Simultanément, la flotte française, commandée par l’Amiral de Grasse, est rappelée des Antilles pour venir verrouiller la baie de Chesapeake et ainsi mettre Cornwallis sous blocus. La flotte anglaise de l’Amiral Graves vogue à sa rencontre pour l’en empêcher.
La bataille qui s’en suit, le 5 septembre 1781, oppose 25 vaisseaux français à 19 anglais. Elle fait peu de dégâts (2 navires français endommagés contre 5) mais la flotte anglaise est repoussée et rentre à New York. C’est une des rares victoires de la Marine française contre la Royal Navy, mais elle aura de lourdes conséquences stratégiques et politiques.
En effet c’est le début de la fin pour Cornwallis et ses 9000 hommes assiégés dans Yorktown par 19000 alliés (dont 9000 Français). Rochambeau a déjà participé à une dizaine de sièges en Europe et les opérations sont rondement menées.
Les alliés ont rassemblé une forte artillerie et l’intense bombardement de Yorktown commence le 5 octobre. Les Anglais avaient eu le temps de fortifier la ville et de construire des ouvrages pour tenir l’artillerie ennemie à distance. Parmi ces ouvrages les redoutes 9 et 10.
Une redoute est un ouvrage militaire défensif, le plus souvent construit à la hâte, sur un champ de bataille (voir les redoutes de Borodino) ou à l’extérieur d’un fort plus grand. Sa fonction est de protéger les soldats hors de la ligne de défense principale contre les attaques adverses.
La redoute 10, près de la côtet est occupée par 70 hommes. La redoute 9 est située 400m à l’intérieur des terres et abrite 120 soldats.
Le 14 octobre, à la nuit tombée, 400 soldats de l’armée française (en fait des Allemands du régiment « Royal Deux Ponts » venus de Zweibrücken) attaqueront la redoute 9 en même temps que 400 soldats américains commandés par Alexander Hamilton (futur premier secrétaire du Trésor) attaqueront la redoute 10.
En quelques dizaines de minutes les deux redoutes sont prises d’assaut avec des faibles pertes. Les Anglais tenteront de les reprendre la nuit suivante, mais ils seront repoussés.
Dès le 16 octobre, le bombardement de la garnison reprend avec une intensité accrue. Acculés, abandonnés et en infériorité numérique et matérielle, les Anglais ont bien essayé d’évacuer Yorktown par bateau à travers la York River, mais une violente et imprévisible tempête a fait irrémédiablement échouer la tentative.
Ce dernier coup du sort a décidé Cornwallis à capituler. Après de longues négociations, la reddition sera signée le 19 octobre à Moore House.
Près de 8000 hommes sont faits prisonniers. C’est un désastre pour l’armée britannique.
Découragé et fatigué par la guerre, le gouvernement britannique jette l’éponge et le traité de Paris est signé le 3 septembre 1783. Il met fin à la guerre et son premier article, toujours en vigueur, reconnaît l’indépendance et la souveraineté des Etats-Unis d’Amérique.
Cinq jours après la reddition britannique, le Congrès vote une résolution décidant l’érection d’un monument commémoratif. Mais les finances ce sont pas là, et sa construction n’est commencée que pour le centenaire, en 1881.
D’un point de vue purement militaire, la bataille de Yorktown est insignifiante. D’autres batailles ont eu plus d’ampleur, et on est très loin des batailles européennes de la même époque. En effet, à part le bombardement de la ville par l’artillerie franco-américaine, les combats se sont limités à l’assaut des redoutes et les pertes totales s’élèvent au plus à 400 morts, en comptant les victimes des bombardements.
Mais historiquement, son importance est considérable. Une guerre se termine et un pays est créé, pays qui deviendra lentement mais sûrement la première puissance mondiale.
Je l’ai déjà dit, les Américains sont très forts pour mettre leur histoire en valeur. C’est bien sûr le cas à Yorktown où deux sites sont à visiter.
Il y a d’abord le site du siège, dont les lignes de défenses et d’attaque, dont les fameuses redoutes 9 et 10, sont toujours visibles à travers la campagne. Le site est géré par l’administration des parcs nationaux, comme Kitty Hawk ou la Blue Ridge Parkway. Nous avons pu participer à une visite guidée très intéressante et instructive. L’importance de la France dans cette épisode de l’histoire américaine est largement reconnue, et la figure de Lafayette provoque toujours une grand émotion dans le public.
N’oublions pas que Marie-Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier de La Fayette est venu se mettre au service de la révolution américaine à 19 ans, bénévolement1 et malgré l’interdiction de son Roi au début de l’aventure. Il a commandé des forces américaines et George Washington le considérait comme le fils qu’il n’a pas eu. Lafayette (en un mot, comme on dit en Amérique) est toujours très populaire aux USA où une quarantaine de villes portent son nom.
Pour compléter la visite, il ne faut pas manquer le très riche American Revolution Museum at Yorktown. Il est consacré à toute l’histoire de la Révolution américaine. L’histoire racontée commence largement avant la déclaration d’indépendance et ne se termine pas avec la bataille de Yorktown. Les panneaux explicatifs et les films proposés permettent de compléter largement ses connaissances.
Enfin, et tant qu’il fait encore jour, on peut parcourir une partie du champ de bataille en voiture pour aller sur les lieux des moindres événements qui se sont passés en 1781.
C’était une bien belle journée sur les traces de l’Histoire.
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1. Il a même mis à contribution son immense fortune, issue de l’héritage de son père mort quand il avait 2 ans.